Conversations intimes
Conversations intimes Ma rencontre avec Albert Jacquard

L’un est le regretté scientifique philosophe, dont la pensée limpide et humaniste manque cruellement. L’autre est une artiste et une militante engagée qui de Madagascar, à Mayotte, en passant par la Russie, le Liban, la Tunisie ou le Canada, parcourt sans relâche le monde entier pour défendre au travers de ses chansons le droit des enfants et le respect de la planète. Entre ces deux-là s’est opérée une rencontre magique, une belle amitié faite de longs échanges, jusqu’au dernier souffle de celui qui avait tant voulu ce livre. Ces « Conversations intimes » vont éclairer d’un nouveau regard ceux qui connaissaient l’œuvre d’Albert Jacquard, et sans conteste provoquer l’envie de se plonger dans ses écrits pour ceux qui ne l’ont jamais lu.

C’est l’histoire d’une rencontre. Celle de la fille du poète Bernard Dimey avec un grand homme qui n’a jamais cessé de dire que la vie, c’est avant tout des rencontres. Quand Dominique prépare en 2002 son livre « Chantons la vie à l’hôpital », elle cherche quelqu’un de susceptible d’en écrire la préface. Quelqu’un qui serait un défenseur de la vie. Elle pense à Albert Jacquard, lui téléphone. Il a un temps d’arrêt sur mon nom : « Syracuse* ? Je veux bien vous rencontrer, mais il vous faudra me chanter Syracuse ». Le 7 mai 2002 à 10h, Dominique sonne chez Albert Jacquard et avant de lui dire bonjour, lui chante ce monument intemporel de la chanson: une rencontre s’est opérée.

Pendant quelques années, ils se verront de façon sporadique, jusqu’à ce grand concert de 2009 au Cirque d’Hiver où Dominique célèbre en chansons le 20ème anniversaire de la Convention internationale des Droits de l’Enfant avec à ses côtés Jacques Higelin, Nicole Croisille… et Albert Jacquard qui, bien que déjà affaibli par la maladie, réussit à subjuguer les enfants présents par ses paroles sur la vie.

Puis Dominique continue ses parutions à destination des enfants et publie « Le jardin d’Albert », dédié à Albert Jacquard. Dans une collection destinée à faire découvrir aux enfants l’œuvre de grands humanistes du 21ème siècle. Ce sera ensuite « Les étoiles d’Hubert »*, dédié à Hubert Reeves pour expliquer la fragilité de la terre aux plus petits. S’ensuivent alors pour Dominique et Albert Jacquard une série de tournées dans les librairies, les médiathèques et les écoles Albert Jacquard, avec des lectures et des échanges avec les enfants, des conférences avec les parents. Et de longues heures de discussions qui ont abouti à ces Conversations Intimes.

A quel moment a commencé la genèse du livre ?
Quand Albert, malade, m’a dit : je ne peux plus écrire. Je lui ai alors proposé d’enregistrer nos entretiens et de faire un livre ensemble. Il a décidé du titre. A partir de 2012, j’allais chez lui  plusieurs fois par semaine, et nous parlions de tout. Il se savait près de la fin, mais il n’avait pas peur de la mort. Il se sentait plus précis et clairvoyant sur des tas de sujets. Je lui en ai proposé un certain nombre : la lecture, Dieu, l’éducation, l’enfance, la justice, le genre, la mort, le nucléaire, l’environnement, l’hypocrisie de l’église, l’intelligence… Son expérience dans l’armée l’avait rendu fortement antimilitarisme et très sensible aux droits des femmes. La pensée d’Albert fonctionnait par strates : un sujet en appelait un autre, tout se croisait.

Que vous ont apporté tous ces échanges avec Albert Jacquard ?
Tout d’abord la rencontre avec une pensée, celle d’un homme engagé dans la dignité et la sincérité, qui m’a aidée à mieux comprendre le monde. Sa réflexion m’a énormément enrichie et m’a aussi apporté un autre regard sur mon propre engagement en tant qu’artiste. Albert avait cette propension à éclairer les sujets les plus difficiles par une pensée limpide. Et puis ce fut une vraie rencontre. Albert disait : c’est une rencontre qui devait avoir lieu et tout classement serait une trahison : on pensait parfois que j’étais sa fille, mais ce lien affectif très fort qui nous unissait procédait de la rencontre universelle…

Ce qui était le plus important pour Albert Jacquard, c’était justement la rencontre…
Oui, ce grand humaniste aimait à dire qu’elle est encore plus belle que les clairs de lune ou le reflet du soleil sur la mer. Quand on arrivait dans une école il me disait : « Au lieu de mettre sur les frontons : liberté égalité fraternité », on devrait mettre « ici on enseigne l’Art de la Rencontre ». Si l’école enseignait cela, ce serait tellement fondateur pour les enfants…

Il avait aussi cet art de rendre simple des choses difficiles et de permettre à chacun de comprendre le monde… Oui, c’est vraiment la singularité de sa pensée et de son œuvre. Et cet espoir qu’il fondait sur chaque humain, sa chaleur humaine et sa générosité. Il disait aux enfants : « Vous êtes tous beaux, intelligents, merveilleux ». Pendant les conférences, il disait aux adultes : « Vous êtes tous capables de comprendre le monde, donc d’agir ». Il avait cette capacité à redonner confiance. Mon travail d’artiste, mon combat, c’est l’éducation de tous les enfants du monde, comme lui, qui était contre la hiérarchie, contre la compétition, et pour l’entraide. Albert était toujours à l’écoute, il prenait toujours du temps pour discuter avec les gens, quelle que soit leur condition…

On aurait rêvé qu’il soit ministre de l’Education, ou même conseiller…
Quand il est mort, pas un membre du gouvernement n’était à son enterrement. Et personne  de la communauté scientifique…

Propos recueillis par Marie Lansade